Cher fils, 

J’ai ressenti quelque chose d’unique dès que j’ai vu ta tête se pointer. Tu as défriché une fibre émotionnelle unique dont j’ignorais l’existence. Je regardais, ébahi, ton petit corps fraîchement sorti de ta première maison savamment construite par ta mère. J’ai senti la puissance d’un amour incommensurable et la création d’un lien avec toi.

Ma naïveté de nouveau père espère que ce lien en sera un de bienveillance au lieu d’inquiétude, de curiosité au lieu d’insécurité, de cohérence plus que d’inconstance, de tendresse plus que d’impatience, d’autonomie plus que de possessivité et de disponibilité plus que d’absence. C’est pour moi les jalons d’une solide fondation pour que tu puisses ériger la tour de ton existence.

Devenir ton père vient avec des responsabilités. C’est pour cela qu’avant que tu arrives, j’ai pris le temps d’explorer mes propres dimensions affectives. Je voulais prendre le temps de panser certaines blessures et combler mes manques comme tu auras l’opportunité de le faire lorsque tu voleras de tes propres ailes. Je voulais devenir mon propre père avant d’en devenir le tien.

J’ai appris à être présent pour moi-même comme je voudrais être pleinement là avec toi.

J’ai appris à décoder mes pensées et mes émotions et les accepter comme je voudrais pouvoir le faire avec toi.

J’ai appris à m’accepter comme je suis comme je voudrais t’accepter tel que tu es.

J’ai testé ma solidité intérieure comme je voudrais être un pilier auprès de toi.

Cet apprentissage n’est pas sans failles et des filaments viciés s’introduiront inopinément dans notre lien. Je ferais mon possible pour qu’ils restent fragmentaires.

Comme père, un de mes mandats sera d’être pour toi un incubateur d’opportunités : des opportunités d’affection, d’apprentissage et d’exploration de ce merveilleux monde malgré ses côtés plus sombres. Ça sera d’aiguiser le réflexe du voyageur qui cherche à conquérir le monde tout en étant à l’affût de son propre monde, cet univers intérieur qui est la pierre d’assise de l’ensemble de ses expériences. Ce sera d’être, comme Khalil Gibran le dit si bien, un arc stable où ta flèche s’envolera.

Cher fils, tu n’échapperas pas aux attentes d’autrui. Tu ressentiras notamment des attentes liées à ton sexe, à ton nom de famille, à l’époque dans laquelle tu œuvreras et les milieux que tu fréquenteras. Il est possible que tu te perdes dans ces univers parallèles et c’est une des raisons qui expliquent mon fort désir d’investir dans ta sécurité affective. Cela t’aidera à revenir à toi-même et à être libre.

Mon fils, ta venue au monde n’est pas le résultat d’une décision des glandes malgré l’attirance mutuelle entre ta mère et moi ; ça a été une décision d’amour mûrement réfléchie. Cette méthode décisionnelle me semble la plus apte à accepter ton unicité. Une décision basé sur les glandes ou la pression sociale aurait généré des attentes envers toi et t’aurait fait porter l’odieux de ton incapacité à t’y conformer.

Je t’aime de tout mon cœur mais quelque chose me dit que les expériences que tu vivras et que tu nous feras vivre, à ta mère et moi, sculptera cet amour pour le rendre inconditionnel. 

Bonne fête des Pères.

Ray